Je ne fais que passer... par l'atelier de
Gilles Meunier
texte de Manon Grimberg en écho aux oeuvres de l'artiste
Passer par la galerie.
Découvrir.
Me laisser traverser .
Ecrire.
Et nous rencontrer.
Promenade au port
Je t’ai cherché dans l’ombre
des vieilles pierres de la ville.
J’ai marché sans but,
sans devant ni derrière
Sans l’avant ni l’après
flottant dans ce présent sans dessus
ni dessous
Il y avait bien pourtant un cerisier en fleurs.
J’ai regardé pour nous s’envoler les oiseaux
Je n’ai pas même cherché à me guérir du manque
J’ai arpenté les rues sans rien n’y avoir vu.
Il n’y avait personne puisque tu n’y étais pas.
Il n'y avait plus
que le silence de toi
J’ai promené ce silence
J’ai promené ton absence.
Je peux désormais mettre
mes deux mains dans mes poches
Et mon mouchoir dessus.
Cette main, vide de la tienne,
qui ne freine plus mes pas,
Mon épaule sans ton bras,
mon sac du bon côté,
pas plus de deux trois larmes
comme une giboulée
Il me faut réapprendre à regarder le monde
sans tes yeux, sans ta voix
sans mes pas dans les tiens,
J’ai pourtant tant aimé
Marcher à tes côtés
dans les rues de nulle part
m’inventant un avenir dans le chaud de tes bras
Un oiseau a chanté, criant au Printemps comme un coq à minuit.
J’ai pensé « C’est bien tôt, c’est trop tard pour cette belle histoire » acceptant, je crois qu’elle n’existe qu’en moi.
J’ai marché sans savoir sans question sans réponse
J’ai laissé mes pas me souvenir de nous,
les draps encore froissés du toi qui n’y est plus
Je regardais mes pieds allonger les pavés comme si marcher pouvait me rapprocher de moi, un moi un peu perdu, un moi à inventer, un moi qui ne sait plus d’où il vient où il va, un moi tohu-bohu dans ce grand vide de toi.
Dans le ciel : des oiseaux, j’ai failli les louper, une flèche impeccable traçant la ligne à suivre, petits points alignés, j’en ai compté vingt-six
J’ai pensé, incrédule, tout ce qu’il me reste à vivre, sans bien comprendre pourquoi
ni comment ni vers où
mais certainement debout
dans un monde sans toi.
Cette fois, encore une fois, nous n'irons pas à Naples.
J’ai seulement poussé la porte.
Elle était entrebâillée.
Il vaut mieux venir vers 11 heures
la lumière est meilleure.
A la radio, c’est la guerre.
19 départements en rouge
Grands événements interdits jusqu’à fin décembre
5000 nouveaux cas dans les dernières 24 heures
Mais on ne sait pas si c’est à Lyon, en France,
en Europe ou bien peut-être mondial ?
Gilles s’affaire
Il a étalé de la peinture sur une plaque
Il l’a passé dans la presse.
Il la promène vers la table
Puis vers le chevalet
Une poneyte s’est fait attaquer
Le crâne défoncé
Il paraît que ce n’est pas la première
Il y a un enragé qui s’attaque au poneytes depuis début juillet.
Gilles marche pieds nus
Il éteint la radio.
En haut, tourne le ventilo.
Il dépose ses yeux bleus avec un grand pinceau,
Sur une plaque en métal
Ou sur un plexiglas
Une main sur la hanche
Il se recule un peu.
Moi, je suis sur la table
Une grande table carrée
Je me laisse traverser
d’abord par la lumière
Aussi par les odeurs
Odeur peut-être d’huile
ou de térébenthine ?
C’est le moment de la presse.
La plaque ouvre ses bras
Et accueille le papier
Juste au même endroit
Que la première fois.
Et le papier repart
S’accroche au chevalet
Un bateau apparaît
Un bateau de grand vent
Un bateau en pleine mer
bateau soleil rasant
Ou bien soleil couchant
Mais peut-être levant.
Un bateau à deux voiles
Un bateau à deux mats
Un bateau de grand vent
Gilles reprend la plaque
La nettoie, ou l’efface
Avec un chiffon bleu.
D’ailleurs, il n’était peut-être pas bleu avant d’être bleu, le chiffon
C’est peut-être un mouchoir pour essuyer les yeux du vent dans le bateau.
Gilles va d’une table à l’autre de son grand atelier.
Il regarde
Réfléchit
Et retourne sur la plaque
Maintenant, il utilise comme une petite spatule
Et tapote un petit peu.
C’est un autre papier qui vient s’y accoler
Qui passe de table en presse
Et dans le tourniquet
Passe de l’autre côté
Et retourne sécher
Je n’ai pas vu quoi
Et je n’ai pas vu où
C’est un papier mystère
Un papier à secret.
Gilles tourne et retourne
Il peint comme j’écris.
Par couches successives
D’un support à un autre
Et d’une table à l’autre
Une main sur la hanche
Il se laisse traverser
Peut-être qu’il réfléchit.
J’essaye de deviner
Quel papier il va prendre
Quand est-ce que c’est fini
Déjà la plaque s’efface
Avec le gros chiffon
Et s’étale le bleu
C’est un bleu outre-mer
avec terre d’ombre brûlée
Dans l’atelier de Gilles
Ça n’est pas la guerre
Aujourd’hui c’est le vent
Aujourd’hui c’est la mer
Avec terre d’ombre brûlée
Pour moi, c’est un voyage
Qui passe par mon nez.
Il suffit parfois de pousser une porte
pour faire un grand voyage