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Mes chers compatriotes - Jour 1

"Mes chers compatriotes, c'est la guerre". C'est ce qu'il nous a dit. Ce qu'il nous a répété. Il a dit ; "C'est la guerre".

Est-ce que les Présidents de la République parlent eux-aussi par métaphore ?

Il a dit "C'est la guerre". Et puis j'ai dormi. Et puis c'était encore le silence tout autour de moi. Très vite, je me suis rappelé que c'était le silence tout autour de nous. De nous tous. Nous étions des petites bulles de silences les uns à côté des autres, à moins que nous n'ayons été absorbé par une grande mer de silence. J'ai jusqu'à midi pour décider où je passerai les quinze prochains jours de ma vie. Nous avons jusqu'à midi pour décider où nous passerons les quinze prochains jours de nos vies. Avec qui. Où et avec qui ? Cet "où et avec qui ?" qui m'avait conduit à prendre mes cliques et mes claques il y a quelques mois, laissant sur place mes bacs à fleurs, mes plantes, mes amis, mes enfants, mes habitudes et enfouissant mon chagrin bien planqué dans une valise tout au fond de la cave.

Cet "où et avec qui" qui m'a promené d'Angers à Rennes, puis Brest, puis Peyre, pour revenir finalement chez moi. A croire que le voyage n'était pas terminé et qu'il m'est proposé aujourd'hui de le refaire, mais cette fois, à l'intérieur de moi, dans 50 m2 clos et toutes mes affaires.

"C'est la guerre, mes chers compatriotes."

Je me rappelle qu'il y a seulement quelques semaines, je me suis isolée de moi-même dans le plus paradisiaque des endroits. Je me rappelle le parc, les petites poules et l'oie, la beauté du lieu, et l'angoisse qui m'a saisie au bout de 21 jours sans voir personne... Je me rappelle m'en être enfuie, je me rappelle avoir replongé dans le monde, dans la foule, et d'avoir été si merveilleusement heureuse d'été bousculée par des gens, d'être entourée de bruit, de cris, de rires, de lumière, de foule : j'étais passé de l'isolement total à la Vogue des marrons... Voilà à nouveau une situation d'isolement. Et cette fois, c'est ici. Et je sais quelle joie nous partagerons de nous retrouver aux terrasses des bars, dans les rues, dans les magasins, dans les parcs, je sais quelle joie nous aurons de nous serrer dans les bras à nouveau. ça ne durera pas très longtemps, cette euphorie, mais ça arrivera. ça ne durera pas très longtemps, l'isolement, mais c'est maintenant.

C'est la guerre, qu'il a dit. Si c'est le Président de la République qui le dit, ça veut dire que nous sommes "en état de guerre". Est-ce que nous n'attendions pas ça, quelque part ? Est-ce que ça ne couvait pas de toute façon ? Est-ce qu!il avait un autre choix pour se dépêtrer du merdier dans lequel il s'était fourré ? Est-ce que ça n'est pas sa Providence, à lui, pour entrer dans la grande Histoire ? Stand by sur les réformes qui fâchent et retraite dans nos maisons pour tout le monde. La République est en marche entre le canapé et le frigo. On a ordre de pendre le gilet jaune au porte-manteau. Marcher pour la Terre devra se faire dans nos têtes. Marcher pour les femmes : dans nos têtes. Courir pour le ruban rose ? Marcher pour les vieux ? Marcher désormais chacun chez soi pour ne pas devenir l'Arme.

"C'est la guerre", qu'il a dit. Une guerre silencieuse. Une guerre sans bombardement. Une guerre sans nation ennemie. Une guerre dans laquelle nous sommes enrôlés de fait. Et dont l'arme c'est nous.

Il me reste quelques heures pour décider "Où et avec qui" je ferai le voyage. Je sais quelle chance j'ai de pouvoir me poser cette question-là. Je sais quelle chance j'ai de m'être déjà posé cette question-là. Je sais quelle chance j'ai d'avoir le choix. Je sais quelle chance on a de vivre cette situation-là. Car on ne revient jamais tout à fait pareil d'un long voyage avec soi-même...

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