Journal de guerre - Soir 11
Au soir du 11ème jour, Hildago avait rejoint Uderzo. Le premier, français d'origine Espagnol, le deuxième, français d'origine italienne. Enfin, l'inverse, parce que le deuxième était le premier. Enfin, celui qui était mort en premier, c'était le deuxième. Si je me fais bien comprendre. Enfin, il y avait balle au centre pour l'Italie et l'Espagne, de chez la France. Hors jeu.
Enfin, les deux n'étaient pas morts à cause du COVID. Mais ils étaient morts quand même.
En France, on accusait au soir du 11ème jour 1696 décès cumulés morts à l'Hôpital, en Epadh, ou à domicile depuis le début de cette pandémie. Nombres de confinés encore vivants en France : 67 millions.
Nous regrettions 2 décès en Martinique et en Guadeloupe mais les portes-avions étaient en route. 1 adolescente de 16 ans en Ile de France. C'était la plus jeune victime du Corona. Un TGV médicalisé avait pu transférer 20 malades du Grand Est vers les Pays de Loire.
4948 personnes étaient sorties de l'hôpital. Guéris. OUF.On en parlait enfin.
450 mineurs migrants squattaient un collège depuis des lustres dans mon périmètre googlemap autorisé. Tout était undercontrol selon les autorités. Une petite fée de mes ami.es tentaient d'organiser et coordonner la fabrication de masques pour les infirmières libérales qui faisaient toujours leurs visites à domicile et qui s'organisaient pour le pic attendu. On craignait un peu que les gosses du collège nous tombent en masse sur les bras et s'attrapent le vilain rhum. Pardon. Rhume.
Et je continuais de persévérer à conjuguer cette fée, ma Marraine, au pluriel, tant je la trouvais admirable, engagée, intègre, complètement anonyme et sur tous les fronts.
Conséquence économique : 1/3 du pays à l'arrêt, les 2/3 restant au front ou à la mine. La consommation avait aussi baissé d'1/3. 1 mois de confinement représentait une récession de 3% du PIB national à la louche.
Aux alentours de 18h je changeais de place autour de ma table de cuisine pour me faire croire que j'allais prendre l'air et aller écouter le sieur Stéphane Balmino qui chantait en direct du fond de la sienne.
Mine de rien, ça changeait pas mal de choses à la vie.
Il chantait "au chapeau", comme s'il était au bar, au Troquet, à la Crèche, ou sur les grands plateaux, généreux et discret. Et son chapeau tournait sur les plateformes de dons. C'était doux, c'était chaud de voir les coeurs qui volent et nous, tous réunis, avec les commentaires. Et lui, buvant des coups, pour mieux nous rassasier, lui qui reste lui-même, un grand coeur enchanté. Et mes copains "d'avant", certains copains quand même. Et me retrouver là, dans ce cadre inédit, c'était quand même un peu retrouver mes amis, ceux de mon "avant", de bien avant le temps de cette guerre inouïe, ma vie du Tarot jusqu'au bout de la nuit et des concerts joyeux. Ma vie du Temps Perdu, ma vie du Violoncelle, ma vie de ses yeux bleus, ma vie des danses folles, un de ces chapitres qui s'était refermé en même temps que le livre entier de mon cher Olivier.
A 20h les cloches des églises sonnaient désormais en même temps que nous applaudissions aux balcons les globules blancs qui recevaient la reconnaissance de nos impuissances.
Dans d'autres cercles, sur d'autres canaux, on méditait ensemble. On unissait nos vibrations de Paix, d'Amour Universel.
Nous étions tous là. les vivants et les morts. Et ce soir, j'espérais m'évader en silence et en toute discrétion de ce monde absurde de cette folie douce.
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