Journal de guerre. Jour 2
Non. Au réveil de la deuxième nuit la phrase se fait plus nette. Le silence est toujours là. les oiseaux discrets. Les bourgeons s'affirment dans l'arbre qui n'a pas de nom. Nous sommes le 18 mars 2020 et le printemps est en avance. Très clairement.
Je tourne autour de la phrase. Elle n'est pas totalement limpide, mais beaucoup plus nette. Non. Nous ne sommes pas en guerre, Monsieur le Président. Nous obtempérons à des "Mesures gouvernementales sanitaires" peut-être, mais personnellement, je ne suis pas en guerre et je refuse de l'être.
Calfeutrée chez moi, responsable et obéissante, je me déclare Déserteur de votre guerre.
C'est important, les mots. La guerre est un "conflit armé ente plusieurs groupes politiques constitués ou entre des groupes de populations opposés". Je ne suis pas en guerre. Nous ne sommes pas en guerre. La guerre est définie comme un" acte de politique étrangère ou défensif de dernier recours après d'ultimes négociations de diplomatie".
Nous ne sommes pas en guerre.
La phrase est tout à fait limpide alors que je parviens à me définir : je ne suis pas en guerre et je refuse catégoriquement de l'être, de le croire et de me laisser envahir par ce glissement de sens, de champs lexical, ce concept. Il n'y a pas d'autre ennemi que nous même. Il n'y a pas d'autre arme que les mots qu'on emploie.
Nous ne sommes pas en guerre : nous sommes dans le cadre de "mesures gouvernementales sanitaires" peut-être graves, peut-être pas, je n'en sais rien. Ce que je vois, c'est que nous sommes au coeur de l'histoire, dans une situation totalement surréaliste, inédite, et impensable ailleurs que dans des bouquins de science-fiction. Le Président de la République a viré tous les copains du bac à sable et nous a rangé dans nos maisons, avec son Joy-stick. Et il a déclaré "C'est la guerre."
Il nous a dit de profiter de ses injonctions et de ces décisions et de ces patati et patalères pour prendre des nouvelles de nos anciens (mais de ne pas aller leur rendre visite), de nous retrouver en famille (mais pas pour des réunions ponctuelles), et de lire (il nous a pas dit quoi) et que "merci merci aux Personnels soignant" (parce que maintenant il a compris qu'on ne peut pas faire du profit de tout). Et au vieux de boire quand c'et la canicule, et de bien nous laver les mains quand c'est le coronavirus, et de traverser la rue pour trouver un boulot (et de rentrer chez nous parce qu'il a décidé de fermer les boulots) et qu'après avoir été un tas de feignants, on est vraiment un tas d'irresponsables. Bon. Alors on a une heure de colle, maintenant. Ah non. Pardon. 15 jours de colle. Et moi, je n'y suis jamais allée, aux heures de colle. A la place, j'écrivais des dissertations à mes profs pour leur expliquer pourquoi je faisons la con dans leurs cours. Des fois, ils me mettaient des heures de colle juste pour pouvoir me lire. C'est vrai.
Il a dit "quoi qu'il en coûte, à la guerre comme à la guerre" ce n'est pas un Président, c'est un magicien : hier il cherchait je ne sais combien de milliards pour les retraites, et maintenant, il en trouve des tonnes pour qu'on reste à la maison. Bon. Je ne suis pas calée en gestion, je ne connais pas les ficelles de l'économie, mais je ne suis pas en guerre. Je n'ai absolument aucune envie de prendre des nouvelles de mes anciens, de mes gamins, de mes voisins de célébrer la fête des pères ni de me ruer dans les magasins.
Mais je suis heureuse d'être seule avec moi-même et de savoir que nous vivons tous, en même temps, cette situation. Nous sommes tous rendus à nous dépatouiller de nous-mêmes, tous en face de nos quatre murs pour réfléchir un peu, tous et chacun face à nos propres peurs, face à nos propres choix, à nos vies, à nos solitudes.
Nous ne sommes pas en guerre. Confinés dans nos espaces personnels, nous ne pouvons pas fuir, ni nous cacher de nous-même. Mais nous pouvons déserter.
Je peux déserter. Je peux 'accueillir la situation, avec qui je suis, telle que je suis. Vivre avec moi-même. Apprendre à m'aimer. Ce n'est pas être en guerre, ça.
Si je suis un gilet jaune, je peux mettre un gilet à ma fenêtre. Si je suis un prieur, je peux mettre une bougie à ma fenêtre. Si je suis un être voilé, je peux mettre un voile à ma fenêtre.
Partout, chacun, invente et ré-invente le lien sur les réseaux sociaux. Un rendez-vous de sophrologie tous les matins Un rendez-vous concert Un moment de danse Un tea-time poétique Des idées de lectures, de films en accès libre... Une créativité dingue pour rire, faire rire, partager, rester en lien... Toutes ces choses qui ont été déclarées "non indispensables" au lieu de simplement dire que ce sont des endroits de trop forte affluence... Encore un glissement de terme ?
Non. ce n'est pas la guerre, Monsieur le Président. Mais je suis d'accord avec un point : il y aura un avant, et un après. A ceci près que cet "après" ne sera pas de votre seul décision. Mais de la nôtre. Pourrons-nous seulement profiter de ces quelques jours pour ouvrir nos coeurs, élargir nos âmes et refonder nos priorités ? Dans la paix de nous-mêmes ? Chaque situation comporte en elle-même tous les possibles...
Aujourd'hui, obéissante et calfeutrée, je me déclare Résistante et désertrice.
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