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Nuit 3

Je regarde mon corps dans la glace. Et si je ne le connaissais pas ?

Je m’allonge sur le canapé. Je sens la chaleur et le moelleux des coussins sous moi. Mon corps à froid. Et moi ? Je vais rester là, sans bouger. Sur le dos. Les yeux fermés. Comme ça. Oh ! Il s’est mis en boule ! ça alors... OK. Je ne bouge pas. Je ne décide de rien. Le corps s’est mis en boule, très serré. D’accord. J’ai la main toute repliée au bout d’un bras tout replié. Je suis tellement en boule que je pourrais retourner dans le ventre de ma mère. J’étais peut-être installée comme ça dans le ventre de ma mère... J’imagine l’eau du placenta tout autour de moi... Normal que je ne la sente pas : nous avons la même température... Je baigne dans l’eau du ventre de ma mère. Si je m’absente encore un peu de mon corps je vais l’alléger. Je me berce un peu... Très légèrement. C’est drôle... Je ressens le doux bercement dans ma tête, dans ma nuque. ça descend le long du rond de ma colonne vertébrale. Je me sens toute enveloppée d’une très fine enveloppe de chaleur. Mes sensations restent à l’extérieur. Et dedans ? Dedans, il y a des zones de plein et des zones de creux. Ce sont les zones de pleins qui sont douloureuses. J’appuie, mentalement, sur les zones de pics. Je masse. Elles s’aplatissent un peu. C’est rouge. Je mets du vert par dessus. ça s’apaise. C’est une sensation maintenant. Plus une douleur.

J’ai peur. ça part du bras et ça irradie dans le dos et devant. On dirait des racines. On dirait des ruisseaux. Mon bras serait le tronc et il y aurait des racines qui irradient vers les poumons. Je continue de masser. Je fais des petits ronds dans ma tête, là où ça pique. Je suis complètement bargeot. Tant pis. Je contracte tout mon corps et je relâche. ça fait du bien. Je contracte tout bien serré, je ne respire plus, et je relâche. Quand je relâche, j’ai la sensation que mon corps s’expanse. Il ne s’élargit pas, non, il ne grandit pas, il s’expanse. Je me fais de l’air entre les cellules. - Tu veux qu’on ailler voler ? - Oui. - Continue d’élargir tes cellules. Imagine que tu gonfles un ballon avec ta respiration. Chaque respiration, tu élargis un peu tes cellules, tu les espaces un peu plus. Monte le vent ! Tu sens ? - Oui. - ça t’aide de voir quelque chose ? - Oui, je crois. - Alors imagine ce que tu voies. - Des paysages en dessous de moi ? - Oui - C’est tout blanc. Je suis au dessus des nuages ? - Oui, peut-être ! Souffle ! Tu vois quoi si tu souffles les nuages ? - Une forêt. Une rivière. Un rocher. Un loup blanc couché dessus. La rivière fait des scintillement argenté. C’est très beau. Oh, le loup se lèche la patte ! - Tu vois, c’est beau, dans toi. - Forcémment, puisque j’imagine, ce n’est pas réel, c’est moi qui invente ! - Crois-tu que tu puisses inventer autre chose que ce qui existe ? Avais-tu décidé que c’était ça que tu verrais en soufflant sur les nuages ? - Non. Je n’y avais pas pensé avant. - Aurais-tu pu voir autre chose ? - J’imagine... - Hallélujah. Que tu aies les yeux fermés ou les yeux ouverts, tu ne vois que le fruit de ton imagination. C’est là où je voulais en venir. - Ben non, quand même... C’est n’importe quoi, ça ! La réalité, c’est tangible ! C’est quand tu marches sur un tout petit lego, la réalité. C’est quand tu te cognes le petit orteil contre le pied du canapé, la réalité. C’est quand tu te brûles, la réalité ! - Ah oui ? La réalité, ce serait ce qui est à l’extérieur de toi mais pas à l’intérieur ? - Ben oui ! - Tu serais donc “en dehors de la réalité” ? - ??? Ben... Non... - C’est ce que je te dis. Dedans et dehors, c’est pareil. Je suis ton corps, et je suis transparent. Ce que tu vois dehors, c’est ce qui est dedans. Que tu regardes avec les paupières fermées ou avec les paupières ouvertes, tu vois la même chose. Ce qui te relie au réel, c’est moi. - Attends. Si ce que je vois n'est que le fruit de mon imagination, alors toi aussi tu fais partie de mon imagination. En fait, je m’imagine avoir un corps, mais tu n’es pas réel, alors. Donc je n’existe pas ! - C’est le contraire, idiote ! Puisque tu nous imagines, alors nous existons. Quand tu auras compris ça, nous aurons fait un grand pas, toi et moi. Tout ce que tu imagines existe. Pas le contraire. Ce qui est réel, c’est ton imagination. - Eh ben on est bien, avec ça... Et tu ne voudrais pas aller le faire dire à quelqu’un d’autre, ce truc ? Je vais passer pour complètement perchée, moi ! - Ah si tu veux ! Pas de problème ! Rien ne t’oblige à rien.

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