Les chevaux
Ce matin, dans mon monde intérieur, un troupeau de chevaux sauvages dans la grande Plaine. Les hommes les ont encerclés et se rapprochent maintenant au galop.
Ils les serrent entre eux, ils les coincent serrés les uns contre les autres, ils les font courir, ils les affolent pour les éreinter. Ils les guident à travers le canyon. Ils les font passer dans des endroits de plus en plus étroits.
Les chevaux sont pris dans deux instincts opposés. En eux, luttent le besoin de rester en troupeau pour pouvoir survivre et la nécessité d'en sortir pour pouvoir rester libre.
Je vois tout là-bas, un cheval fier et noir, aux yeux de foudre, se cabrer. Je suis chevale (- ici, j'y mets un "e", tiens, c'est une bonne idée pour ma féminité, pas plus con qu'à Auteur auquel je ne mets pas d'"h" ) et je coure, encerclée par des hommes, des hommes montés sur des chevaux nés en captivité. Je ne veux pas de selle. Ni licols, ni harnais Ni de rennes, ni d'éperons sur mon flanc Le mors va me blesser.
Et les chevaux galopent, ils n'ont pas le choix.
Les hommes les pressent entre eux, limitent leurs mouvements, les hommes sont nombreux, ils maîtrisent leur art.
Plus loin, tout à l'heure, les chevaux seront parqués dans un petit carré entouré de barrières. Dans leurs oreilles dressées cogneront leurs coeurs affolés. Leur monde sera restreint à des horaires précis. Ils ne connaîtront plus le vent dans leur crinière, ils oublieront qu'un jour ils s'ébattaient à leur guise dans la rosée du matin et choisissait l'ombre de leur arbre pour se reposer. Ils ne se rappelleront plus la délicatesse de l'herbe au coeur de la prairie, et se contenteront d'avaler du foin.
Je suis chevale.
Je n'ai pas besoin du "e" mais j'aime bien cette idée. Ce n'est pas plus con que d'en mettre un à "Auteur" auquel je ne mets pas d'"H".
Parquée dans cet enclos, je m'octroie ce petit droit d'inventer d'autres règles qui n'appartiennent qu'à moi et qui ne devraient - en principe - blesser personne.
Cette lutte-là me semble bien dérisoire au regard de celle de se laisser dresser.
Je vois dans le troupeau un cheval tout noir qui galope dans la nuit.
Quelque fois, quelques nuits, quand j'ai les yeux fermés, il m'arrive de courir avec lui. Dans ces galops nocturnes, tout me parait simple, limpide et sans question. Et quand j'ouvre les yeux, je retrouve l'enclos. Je donne un coup de sabot, je me cabre et je rue. Et ça ne sert à rien.
Je suis mauvais chevale. Je ne sers à rien. Ni chevale de course, ni chevale de trait ni chevale de saut encore moins de cirque ou pire encore ! De fanfare militaire. Je suis cheval sauvage Je préfère la mort à n'importe quel mors et je préfère le loup à n'importe quel humain.
Que je le veuille ou non. Que je l'accepte ou non. Que ce soit bon pour moi ou non, je suis cheval sauvage née en captivité. Cette fois, je ne mets pas d'"e" à cheval, ni de "z" à "Née" car c'est là, en fin de compte ma dernière liberté.
Dans l'enclos c'était bel et bien la guerre.
La guerre du Pouvoir Et nous étions chevaux, non les hommes qui les montent.
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