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Le pont suspendu

Le brouillard était dense.


Il y avait d'abord eu le calme.

La neige avait recouvert le grand pré. Un silence épais enveloppait le tout et le blanc du ciel avait gelé le lac.

L'horizon était devenu si vaste que je n'y voyais plus aucune perspective.

La nuit a duré plusieurs jours, la bougie allumée.


Devant moi, l'océan avalait les bateaux et rouillait leurs carcasses. Des hommes, désespérés s'entassaient dans des barques pour faire la traversée. Des cargos de vieilles tôles déversaient leurs diarrhées. De nouveaux territoires s'y créaient : des îles en plastique faites de bouteilles de lait.

Dans l'Océan glacé, les souvenirs devenaient mémoires et les naufrages devenaient des trésors.

Comment être assez fou pour se plaire à rêver qu'il y aurait un bonheur à faire la traversée ?


Je ne t'entendais plus.

Ni chanter. Ni ronfler. Ni même respirer.

Tu avais disparu.

Je me plaisais à croire que tu offrais ton rire à d'autres vallées, conceptualisant l'idée que de l'autre côté, c'était toujours l'été.


Dehors, c'était toujours la guerre.

Elle s'était rapprochée.

C'était une guerre d'usure pour qui n'avait jamais vraiment souffert d'un quelconque despotisme.

C'était la guerre des nerfs pour qui n'avait jamais connu la patience qui s'installe dans l'enfance maltraitée.

C'était la frustration.

C'était la restriction.

C'était l'infantilisation.

C'était l'attente de la prochaine décision.

C'était la soumission.


Je remettais des bûches, j'entretenais le feu dans un coin de ma tête, pour me réchauffer.

Je restais sous la couette et je faisais la planche, les paupières closes pour encore voyager et attendre patiemment, le retour du printemps et la fonte des glaces et le moment joyeux pour refaire surface.


Et puis j'ai entendu, tout là-bas, près de la cascade, une de tes larmes glisser le long du cou. Et puis j'ai pu voir ce lien si fort, si doux qui peut m'unir à toi. Ce filin de soie pure qu'on ne peut toucher sans risquer le briser, comme le rire de l'enfant que je n'ai jamais été. Et puis j'ai ressenti, en dessous de mes doigts, les mots me revenir, avec ma poésie. Les phrases s'allonger. Les mots se délier quand je te sens en moi.


Le ciel s'est comme fendu, pour laisser traverser seulement quelques rayons, peut-être une direction ?

Dans un de ses rayons, il y avait un pont.

Un pont suspendu.

Un pont de ficelles et de planches, de branchages et de lianes. Un pont bien insécure pour qui a le vertige.

Un pont dans le brouillard.

Un brouillard très dense qui ne permet pas - pas même de deviner - ce qu'il peut bien y avoir, là-bas, de l'autre côté.


Et c'est d'un pas sûr plus que décidé, le regard au lointain, guidée par la lueur de mon coeur grand ouvert, que j'entrepris alors de faire la traversée.


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