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Journal de guerre - jour 9

Au petit matin du 9ème jour, je jouais avec l'ombre de mes mains sur le mur de ma chambre, ombres chinoises en deux échos, projetés par quelques exercices d'étirement de mon corps rompu par trop peu d'exercice.. Nous étions trois. Moi qui m'étirais, les deux autres qui dansaient sur le mur.

Ma main droite était Platon,la gauche : Voltaire. Une part de moi relativement consciente de ma caverne, l'autre m'enseignant de cultiver mon jardin.

Je m'attribuais Candide sans demander rien à personne.

Sur le canapé du salon, Thomas More relisait sa propre oeuvre et corrigeait quelques fautes d'orthographe et coquilles d'Utopie dans sa version latine. Dans l'étagère, Nietzsche essayait de draguer Marguerite Duras depuis le dernier déménagement sous l'oeil clinique de Sartre et sa mauvaise humeur - "l'homme est un loup pour l'homme" - et de Bergson qui se marrait bien.

Il y avait du monde, au matin du 9ème jour dans ma caverne.

Un petit monde de toutes les époques, de chaque siècle, qui avait peint son regard sur le monde, chacun en son temps.

More 1518 Voltaire et son Candide 1759 Platon 315 avant JC Nietzsche 1844 Duras 1950 pour ne citer qu'eux.

Et tout ce petit monde bavardait gentiment. Et aucun d'eux ne connaissait BFM TV.

J'imaginais la beauté des échanges dans les cavernes de mon ami Thierry Mortamais, les débats politique dans celle de mon voisin Philippe Bouvier, le planning de salle de concerts chez Jean Cohen, mes contemporains, chez qui je n'étais pas plus allé que chez Sartre, Camus ou Voltaire mais qui offraient chaque jour un peu de leur monde au monde grâce, entre-autre, à ces technologies nouvelles et ce "nuage" dans lequel nous communiquions. Enfant, j'avais le poster de Brassens, Brel et Ferré et j'ai toujours été convaincue que Barbara, et Marguerite Duras étaient assises avec eux et que c'était Françoise Sagan qui avait pris la photo en revenant d'être allé commander un pot. C'était naturellement pur hasard qu'elles ne soient pas sur la photo. Aux tables voisines, il y avait Aragon et Eluard. Prévert et son chien, sous la table.

Au matin du 9ème jour, mon poster dansait sur le mur comme les mains de Sophie Tabakov dans l'ombre de la fenêtre.

J'étais, encore aujourd'hui, vivante.

5000 détenus allaient être libérés pour faire de la place dans les prisons. C'était l'unique nouvelle qui était venue jusqu'à moi et qui ne concernait pas le Corona Virus. 5000 détenus (qui s'étaient bien comportés et qui étaient pas loin du bout de leur peine) allaient être libérés... Et pour aller où ?

Et pour aller où ? 5000 détenus allaient être libérés et pour aller où ? Quel monde allaient-ils retrouver, les pénitents, les vilains, les "à côtés", les malfrats, les bandits ? Un monde aux rues vides. Un monde où le confinement s'était durcit et les amendes pour "promenade" étaient passés de 135 euros à 1500 en cas de récidive. Et 6 mois de prison...

5000 détenus allaient retrouver une vie "normale" avant la fin de leur peine, une vie où ils devraient s'enfermer librement, avec une autorisation de sortie d'une heure dans un rayon de un kilomètre. La durée de cette peine-là ? On ne la connaissait pas. Elle était de quinze jours, au départ, mais on savait tous qu'elle serait prolongée. Pour combien de temps ?

Pour combien de temps ?

Au matin du 9ème jour, le plus difficile pour moi était de ne pas savoir "pour combien de temps" ? La nouvelle venait de tomber. Le confinement serait prolongé de deux mois selon le 20 minutes du jour mais je ne l'avais trouvé confirmée nulle part. Sans doute un reste d'un rêve de ma nuit.

Qu'en était-il du temps pour mes amis de papier, mes amis du nuage qui enrichissaient ma vie, qui fleurissaient mon jardin, qui illuminaient ma caverne ? En ce matin du 9ème jour, c'était Thierry Renard qui me rappelait que "ce n'est pas le temps qui passe, c'est nous", une citation attribuée à Joseph Ferdinand Cheval, facteur à Hauterives.



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Au soir du 9ème jour, Uderzo était mort. Et aussi Manu Dibango. Et aussi Bernard Schreiner. ('connais pas.)

Après recherches, Bernard Schreiner était un homme politique, député de la 9ème circonscription du Rhin.

Donc on s'en foutait complètement parce qu'on ne le connaissait pas. Et qu'en plus, c'était un homme politique. Donc excusez-moi, mais, sans dire que c'est une bonne nouvelle (paix et respect à ses proches), on n'allait pas en faire une publication, non plus. En tous les cas on n'en parlait pas sur les réseaux sociaux. Et ça me fait de la peine pour ses proches. Même si ce n'est pas sûr qu'il soit mort du coronavirus, lui. En plus. (Paix à son âme et respect pour ses proches.) Pas plus que pour ceux, anonymes, qui étaient morts aussi et dont on ne parlait pas au soir du 9ème jour.

Les jeux Olympiques étaient annulés. C'était la deuxième fois de l'Histoire que les Jeux Olympiques étaient annulés. ça c'était déjà passé en 1940. Et c'était aussi organisé à Tokyo en 1940. -... -... - Oui. On pouvait peut-être considérer que Tokyo était maudit du Jeu Olympique. Ou bien que le Japonais deviendrait la ligne de mire à atteindre parce que décidément les jeux olympiques n'avait vraiment rien à jouer à Tokyo. Et que ça foutait le bordel à chaque fois que c'était Tokyo qui accueillait les jeux Olympiques, c'est vrai. C'est vrai ça. Et ça va recommencer l'année prochaine, parce que ce sera reporté, alors, je dis ça, je dis rien, mais... "tous aux abris". (Quels abris ? Ben... Restez chez vous, quoi.)

Ou bien alors que c'était vraiment pour de vrai de vrai, la 3ème guerre mondiale.

Les footballeurs du Barça n'avaient pas été déclarés en chômage technique, mais le Mundo Deportivo souhaitait les convaincre d'accepter de réduire une partie de leur salaire.

Les membres du comité exécutif de l’OM, (confrontés à la pandémie de coronavirus), avaient décidé de réduire leurs salaires pour se mettre au niveau du régime du chômage partiel appliqué aux joueurs. Soit environ 16% de leur salaires. Soit 16% de 40 000 euros en moyenne par mois. et dont "L'Etat prendrait en charge une partie de ce que verse l'entreprise, avec un plafond maximum de 5.400 euros." -... Par mois. -... -Par joueurs. - Non, par salarié. - Oui, par salarié. - Ben quoi ? - Ben rien.

L'Olympique Lyonnais s'était mobilisé contre le coronavirus. Le club lyonnais avait en effet décidé dès le 4ème jour de confinement de guerre, de débloquer immédiatement 300 000 €, via sa fondation, pour lutter contre la pandémie, (dont 100 000 € pour financer "deux projets de recherche clinique menés par les équipes de médecins chercheurs des Hospices Civils de Lyon" et 200 000 € "pour répondre aux besoins d’urgence de leur territoire (matériel et équipements pour l’Hôpital, aide aux plus démunis)." - Qui ne saute pas n'est pas lyonnais ! Hey ! - Qui ne saute pas n'est pas lyonnais ! Hey ! - ... -... -... - Oui, bon, d'accord. - ... -... mais Christiano Ronaldo publiait des vidéos avec ses enfants, pour nous montrer l'exemple, et ça, c'était rare. Alors bon.

L'inquiétude gagnait les professionnels de la fraise française car les saisonniers étrangers ne viendraient pas tous et ça craignait grave pour les gariguettes et les ciflorettes qui allaient périr par tonnes si personne ne venait les cueillir. -... -... - D'autant que les mesures avaient été renforcées en fermant les marchés de plein air. -... -... -... Et donc on nous demandait de favoriser le "patriotisme alimentaire".

Parce qu'on nous avait conseillé de privilégier les circuits de proximité parce que les grandes surfaces étaient trop fréquentées. Mais de privilégier les grandes surfaces plutôt que les circuits de proximité où les aliments "étaient peut-être contaminés. Mais d'éviter les grandes surfaces.

Au soir du 9ème jour, je crois qu'il restait le Super de proximité pour aller s'alimenter, à condition de respecter les distances de sécurité. Mon super. Le Super. Mes amis, mes collègues du Super. Les meilleurs de la bande. (enfin... Jusqu'à demain.)

On nous disait qu'il fallait garder les masques pour les soignants et que c'était inutile d'en porter nous-mêmes. Mais les orientaux disaient le contraire. On nous disait qu'ils allaient bientôt arriver, en France. Et qu'il ne servait à rien d'en faire soi-même, parce que ça ne servait à rien. Mais que si certains voulaient en faire quand même, ce serait bien venu. D'ailleurs, Saint Laurent et Balenciaga et Gucci avaient commencé à se lancer dans la fabrication de masques.

Au soir du 9ème jour, des mesures d'urgence en toute urgence avaient été prises.

Un "conseil scientifique du Comité d'analyse et d'expertise scientifique" avait été organisé dès ce jour par le gouvernement pour suivre les possibilités de traitement. Parce qu'il y avaient ceux qui prenaient au sérieux le Professeur Raoult et le gouvernement qui doutait du Professeur Raoult. Et si on n'avait pas de vaccin, on avait quand même un médicament. Mais on ne l'utilisait pas car il avait été efficace sur 24 malades sur 24. Et que 24, c'était quand même pas 860, non plus. 960 qui étaient morts, mais bon. On va pas mégoter, si ?

- On a le temps de mégotter, là ? - ... - on a le temps de dégotter, là ? -...

Et que ce médicament était prescrit sans ordonnance jusqu'au début de mois de janvier mais plus maintenant. Et que maintenant, il fallait une ordonnance. Donc il était peut-être dangereux aussi. -... - Quoi encore ? - non, rien.

Les résidents d'Epadh libéraient des lits. 16 morts et 81 contaminés à Saint Denis. 24 dans les hauts de France 7 à Sillingy 20 dans les Vosges 7 en Hauts de Savoie 20 dans les Vosges 3 dans l'Hérault 15 à Thise 11 dans le Doubs mais des fois, c'était à cause d'une intoxication alimentaire, aussi. Et des militaires en Espagne avaient retrouvés des vieux, morts et abandonnés dans leur lit, parce que le protocole prévoyait que les cadavres ne soient pas touchés jusqu'à l'arrivée du médecin et des pompes funèbres. Mais, avec la multiplication des décès, les services funéraires, débordés, tardaient parfois à intervenir. Mais bon, ça, c'était l'Espagne. Pas la France.

Au soir du 9ème jour, j'avais vu passer un petit dessin de la niche de snoopy sans snoopy allongé dessus (sur le mur FB de Joséphine Caraballo) et je me suis rappelé avec émotion (beaucoup d'émotion) mon T-shirt chéri, mon T-shirt si doux, celui que j'ai usé jusqu'à la corde de mon adolescence si lointaine aujourd'hui, celui avec écrit :

"J'aime l'humanité, c'est les gens, que je ne peux pas supporter."


Et puis je me suis recommandé une tournée de pinte pour deux, en imaginant que je rigolais avec ma Zouzou au Jutard du coin, parce que mine de rien, dans ces cas-là, la terrasse du Jutard, ça manque...

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