Journal de Guerre - Jour 17
Au 16ème jour, j'avais suffisamment repris de force pour repartir dans des draps propres. La manipulation avait été extrême, sans doute un peu précoce autant que pleine d'espoir pour ce défi du jour.
J'étais encore bien faible, mais j'avais bien retrouvée presque tous mes esprits.
Mes pensées tournoyaient sur la question du lit.
Des lits qui manquaient. Des 5000 qu'ils avaient improvisés à la hâte, des 10 000 qu'il manquait encore.
Je me demandais pourquoi ils ne réquisitionnaient pas les banques, les cabinets d'assurance, locaux qui, de toute évidence ne servaient plus à rien.
De mon lit tout propre, dans lequel je retournais un peu me reposer de tant d'activité, je pensais aux lits.
Aux lits des amants désunis.
Au lit de la rivière.
Aux lits trop plein d'enfants.
Aux lits dans lesquels parfois, on se tourne le dos.
Aux lits trop grands, trop petits, aux lits-télévision, aux lits "cinéma d'auteur", aux lits trop durs, trop mous, aux lits où l'on passe 1/3 de sa vie. Aux lits tellement sordides tant ils sont vides quand l'autre trouve refuge sur le canapé, aux lits dans lesquels on aime à se mettre en étoile, enfin seul.e et paisible sans se faire emmerder. Lits à même le sol, au cadre ouvragé, tatamis de paille, mezzanine Ikea.
Mon lit, mon Royaume. Mon Univers entier. Ma plaine, mes collines. Mon océan limpide. Mon refuge, mon domaine. Mon jardin, ma prairie. De ces cinq derniers jorus.
Au 16ème jour je lisais que le Roi de Thaïlande, accompagné de son harem, s'était confiné dans un hôtel de luxe.
Quarante jours, 40 femmes, ça sentait le carême.
Au Moyen-Age, on organisait des orgies pour célébrer la fin de la peste. Je n’entendais rien de ce qui pouvait être prévu.
Effectivement, le lit pouvait avoir d'autres usages que toutes ces folles aventures que j’y venais d’y vivre, le dos plaqué tout droit et les yeux rivés aux fissures du plafond, puisque le lit, je l’avais oublié, restait consensuellement le lieu de prédilection pour la bagatelle, qu'on s'y adonne à deux, à trois, à plus, entre filles ou entre hommes, plus classiquement à deux, parité respectée, ou tout seul pour beaucoup, en ces temps confinés.
Le lit, territoire de l'amour et de ses infinis, territoire du bonheur, territoire de l'extase, territoire où les corps livrent leurs plus beaux messages, où les intimes se mêlent, où l’on s’offre en partage.
De fait, la moitié de l'Humanité était tout comme moi, en train de partager cette question du lit qui s'était rapprochée, l'autre moitié en usant pour s'y effondrer avant de devoir retourner au combat.
Quelle ironie que la vie.
J’étais née en un temps où mes beatniks de parents prônaient de faire l’amour, et non pas la guerre, et d’user du fusil pour y mettre une fleur et voilà qu’à mi-temps l’injonction était enverse : faire la guerre, mais surtout pas l’amour.
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