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Journal de guerre - Jour 12 Matin

Depuis presque le tout début du confinement je dors avec des chaussettes. J'ai froid. J'aère beaucoup chez moi et je me ballade avec trois pulls en laine et ma grosse veste jaune. J'ai froid.

De penser au 450 mineurs isolés migrants d'à côté de chez moi, j'ai pensé à tous ceux partout, entassés dans des camps et j'ai eu froid avec eux, cette nuit. J'ai eu froid en empathie, sans être auprès d'eux. Sans penser aux risques qu'ils m'atteignent, qu'ils me contaminent de l'une ou l'autre de leur misère, ou de leur destin. J'ai dormi avec eux sans le faire exprès, sans le vouloir vraiment, sans non plus pouvoir les aider d'une quelconque façon. Eux n'en sauront rien. ça ne leur change rien. A part peut-être une infinitésimale petite perception à la base du cou, une caresse, un cheveu qui chatouille, une petite fleur des champs, un ressenti fragile, un poème, quelque vers lancés à la Lune. Parmi tous ces mineurs, il y avait mes enfants. J'ai dormi avec eux sans le faire exprès, sans le vouloir vraiment, sans non plus pouvoir les aider d'une quelconque façon. Eux n'en sauront rien. ça ne leur changera rien. A part peut-être justement, de ne pas avoir à se préoccuper de la question inverse, pouvoir vivre insouciants, légitimes, de m'avoir fait orpheline.

La guerre ne changeait rien à l'arbre qui n'a pas de nom : mon arbre de famille. La guerre ne changeait rien, ni aux racines ni aux branches, encore moins aux bourgeons. Dans cette nuit du 11ème jour, je m'étais réchauffée dans les bras de ma mère, de ma fille adorée, de ma tendre Zouzou. Dans nos bras : la Merveille, le trésor infini, l'Etre sans Jugement, la bavarde sans mots, ma petite-fille chérie dans son habit fleuri.

Lors de cette nuit du 11ème jour, mon Enfant Intérieur était à l'extérieur et regardait la scène sans rien y comprendre, sans y comprendre rien.

Les pieds un peu en dedans, les épaules voutées. Sous sa grosse frange et ses lunettes épaisses, elle me regardait, complètement dépitée. Au matin du 12ème jour, je me réveillais Sans plus vouloir jouer. Sans plus pouvoir pleurer. Il allait me falloir aller la consoler. Il n'y avait que de cet enfant-là dont je pouvais m'occuper.


*****


Je suis d’abord retourné me coucher

Je l’ai laissée venir, l’ai laissée s’approcher.

Je la sentais timide et très désemparée.

Et j’ai dit « Viens ma fille, viens te réconforter »

Je n’avais rien à faire, juste être là, auprès d’elle

Juste calme à l’intérieur,

au creux du creux de moi

Cet endroit à qui rien ni personne

ne peut rendre visite.

Et les larmes d’elles-mêmes se sont mises à couler.

C’était la pluie dedans, dans mon monde intérieur

Une pluie chaude et lourde

On dit que la distance peut rassembler les cœurs

On dit loin des yeux, mais aussi loin du cœur

On dit

qui se ressemble s’assemble

Les opposés s’attirent.

On dit n’importe quoi.

Tout et son contraire

en de fameux discours

on cite, et on proverbe,

on se raccroche à d’autres

qui auraient pu écrire

ne serait-ce qu'un peut de ce qu’on peut ressentir.

Et moi je reste là

Entre mes quatre murs

Isolée comme chacun

A juste pouvoir écrire.

Tandis que la consigne,

c’est de rester unis,

Je me sens tellement loin

De tout, même d’une Patrie

Je ne sais plus vraiment

Si un mal du pays

Ou si à ce Pays,

je peux rester unie.

C’est peut-être l’Exil.

C’est peut-êter le dépit.

C’est mon chagrin qui suinte

Du fond de sa valise

Celui tout bien ficelé

Tout dessous les cartons,

Bien au fond de la cave.

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