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Journal de Guerre et de paix

La nuit était bien installée maintenant et m'enveloppait dans l'épaisseur de son calme et de son silence. Un silence si dense que je pouvais entendre les sons d'encore plus loin.


Je m'étais bien installée aussi dans le mien.

C'était incroyablement bon de se taire et de ne rien écouter, ne serait-ce qu'une journée.

Ni le monde et ses turpitudes, ni mes proches.

Rien. Ne rien dire. Juste patienter. Ne pas faire d'effort, pas même pour respirer. Prendre le filet d'air, et le laisser filer.


Jamais je n'aurais cru, en commençant ce récit que j'arriverais ici sans même être sortie.


J'avais pensé écrire 15 jours. Au début.

Puis j'avais pensé raconter jusqu'au moment de nos libérations.

J'avais pensé, puisque c'est la guerre, j'écrirai jusqu'à ce qu'on soit à nouveau en paix.

Mais il n'y a pas de guerre.

Et il n'y aura de paix qu'en nous, si on le veut.


Je n'avais pas de plan, je n'ai rien relu.

J'avais juste avancé, chaque jour un peu plus.

Je m'étais confinée, chaque jour un peu plus.


J'ai cru 10 fois mourir.

Pour de vrai.

J'ai même pleuré parfois d'encore ressusciter.

Ouais, c'est moche.

C'est pourtant la stricte vérité. Une forme de sortie par la petite porte qui résout grand nombre de problèmes. En tous les cas pour moi. Et quand on ne peut résoudre ni les siens ni ceux du Monde, on a le droit, je crois, de temps en temps, d'avoir envie de jeter l'éponge.

Mais ce serait bien trop simple. Et pas assez marrant.


J'ai cru 100 fois ne pas pouvoir y arriver.

Pour de vrai.

Ne pas me sentir capable d'être seule avec moi-même pendant ce confinement.


Pire : ne pas me sentir capable de supporter ce qui nous attendait : la récession économique évidente. Les remontées de xénophobies à venir. Nos géo-localisations probables. Les montées de nationalismes en tous genre.

Il y aurait toujours un con pour gueuler qu'il aurait fallu faire autrement, un autre pour pleurer, un autre pour en rire.

Du fond de mon silence porte et fenêtres fermées, méditant jours et nuits, ne me concentrant que pour respirer, j'ai quand même réussi à apprendre que le PSG lançait un appel aux dons pour aider le Secours Populaire... Et qu'une gamine s'était pris un chtar par des policiers. Des idées circulaient pour reverser les 67 millions d'euros déjà récoltés en amende pour non respect du confinement... en quelques primes et bons points pour le personnel soignant... C'était à pleurer... Tout ça sans ouvrir un journal. Sans télé, sans Facebook. Sans rien faire d'autre que de vouloir m'imposer une paix absolue... Unique consigne pour guérir du COVID.


Je ne vivrai jamais assez longtemps pour apprendre que les footballeurs accepteraient simplement de percevoir des salaires décents et verseraient les excédents directement à l'Etat, sous forme de ce qu'on appelait autrefois "Impôt sur les revenus", ou "Effort de guerre" ! Que les Présidents encore vivants seraient heureux de reverser leur retraite ne serait-ce que pendant un an ou deux, par solidarité, ne serait que pour assumer d'avoir pu se tromper ? Et compenser un peu toutes les décisions qui n'avaient de toute évidence pas fait leurs preuves...


Oui, je redoutais les prochaines années.

Je redoutais les renversements de pouvoir autant que le Pouvoir en place.

Je redoutais les dictatures probables.

Les QR codes.

J'avais peur de la peur bien plus que de mourir.


Pourtant, ce n'était pas mon heure.

En cette nuit bien noire mon état s'améliorait d'heure en heure. C'était aussi visible à l'oeil nu que les trois planètes dans le ciel qui se rapprochaient ou que les eaux de Venise quand on leur fout la paix. Je ne criais pas Victoire. Le virus était fourbe et m'avait laissé croire plus d'une fois qu'il avait abdiqué. Me réjouissant trop tôt, j'étais retombée à chaque fois un petit cran en dessous. J'étais bien maline. Cette fois, je ne bougerai pas. Pas un pied, pas un pouce, pas l'ombre d'une narine même si je sentais le volume d'air un petit peu plus large et mes idées s'organiser un peu.

Je savais faire maintenant.

S'il faut de l'ail pour éloigner les vampires, il suffit d'un sourire pour éloigner la guerre.



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